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• Tigran Hamasyan : le tigre arménien du jazz

Publié le par brouillons-de-culture.fr

tigran-hamasyan-a-fable.jpgA vingt-quatre ans, Tigran Hamasyan n'est déjà plus le nouveau prodige de la planète jazz, mais d'ores et déjà une valeur sûre. A deux ans naît son amour du piano. A sept sa passion du jazz. A treize, Chic Corea, Avishai Cohen, Jeff Ballard commencent à s'intéresser sérieusement à lui. A seize, il remporte le premier prix des "Jazz à Juan révélations" dans la catégorie "Jazz instrumental" et le premier prix du concours de piano du "Montreux jazz festival".

Une ascension fulgurante qui pourrait faire craindre la chute. Mais le pianiste-compositeur possède en permanence  une longueur d'avance sur tigran-avishai-cohen.jpgde potentiels détracteurs. Toujours sincère, mais toujours en recherche, sans que jamais ses œuvres ne s'égarent dans le plus cacophonique de la musique expérimentale.

Novateur et accessible : un paradoxe (presque un oxymore) qui n'est rendu possible que par le refus d'une rupture consommée avec le jazz traditionnel. Tigran Hamasyan en effet distille et dose ses expérimentations sur un fond en trompe-l'œil de classicisme jazzy.

tigran-jazzmag.jpgTrès vite, Tigran décolle l'étiquette qu'on eût pu lui coller de "nouveau prodige du piano-jazz" et prend tout le monde par surprise avec "World Passion", une merveille de jazz-fusion. Il s'y révèle aussi à l'aise dans la composition pour groupe (saxophones, drums, basse, saxophones et instruments traditionnels arméniens) que dans le solo inspiré.

Nul doute que sa récente Victoire de la Musique a attiré l'attention d'un plus large public, débordant les frontières de la seule planète jazz.

Sur scène, l'artiste est impressionnant d'humilité et de générosité. En solo, son disque "A fable", simple, fluide, évident, révèle toute sa complexité. A quel point il est le fruit

tigran-hamasyan.jpg

d'explorations sur des terres inconnues. Et peut être défini comme "résolument moderne". Par son usage éclairé du sampler par exemple. Par la création en direct d'une boucle de piano qui  lui permet de rebondir dans les directions les plus inattendues. Ou de sa voix, tapisserie sonore, sur laquelle viennent se greffer de multiples variations pianistiques. Ou de son appropriation du scatt cher à Ella Fitzgerald qu'il pousse jusqu'à la lisière d'un beat-box proche du Saïan Supa Crew.

Il y a du Keith Jarrett chez cet homme. Référence qui pourrait vite devenir handicapante, s'il n'avait l'intelligence ou l'intuition de n'en prendre que le meilleur.

tigran-hamasyan-copie-1.jpgMême influence dominante du trio impressionniste Ravel-Debussy-Satie. Ou des compositions mystiques de Gurdjieff-De Hartmann. Même façon d'introduire la mélodie fredonnée dans l'entrelacement des notes. De s'approprier physiquement son instrument, se courbant sur lui à l'extrême, le front à quelques centimètres des touches. De se lever parfois de son tabouret pour faire respirer la musique.

Mais Tigran Hamasyan bifurque à temps, manifestant d'autres sources d'inspirations  : la musique arménienne, certes, mais également la musique de films. Certains morceaux de "A fable" peuvent évoquer Ennio Morricone. Le compositeur interprète cède parfois il est vrai, à la répétition. Frôle même par instants l'afféterie et la préciosité. Mais un récital de Tigran Hamasyan est si riche en moments de pure magie qu'il fait vite oublier quelques scories mineures.

On sort de la salle persuadé que la musique de Tigran Hamasyan, patiemment nourrie, élégante et virtuose, mais également touchante, est amenée à encore évoluer. Dans le bon sens.  De même demeurons-nous intimement convaincus que l'artiste figure, dès  aujourd'hui, parmi les créateurs qui comptent.

Tournée France prochaines dates :
• 06/04/2012 - Marne la Vallée - FERME DU BUISSON - SCENE NATIONALE 
• 25/04/2012 - Nantes - SALLE PAUL FORT / LA BOUCHE D'AIR
• 27/04/2012 - Nice - SALLE GRAPPELLI / CEDAC DE CIMIEZ
• 28/04/2012 - Dans le cadre du festival PRINTEMPS DE BOURGES 2012 Avec Emel Mathlouthi
• 15/05/2012 - Belfort - LE GRANIT / SCENE NATIONALE 
• 24/05/2012 - Le Vesinet - THEATRE DU VESINET En première partie de : Thomas Enhco
• 16/07/2012 - Serres - Dans le cadre du festival JAZZ DE SERRES - THEATRE DE VERDURE 
• 18/07/2012 - Paris - OLYMPIA BRUNO COQUATRIX En première partie de : Roberto Fonseca
• 26/07/2012 - Chambord - Dans le cadre du festival FESTIVAL DE CHAMBORD Avec Michel Portal

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans spectacle... vivant !

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• La Scaphandrière, rencontre au sommet !

Publié le par brouillons-de-culture.fr

La-scaphandriere-1.jpgSi certaines rencontres artistiques ressemblent à des mariages forcés, d'autres en revanche s'imposent rapidement comme des évidences. Tel est le cas de celle qui présida à la création de la pièce "La Scaphandrière". Ici, les spécificités de chacun (auteur, metteur en scène, acteur) s'organisent comme les pièces d'un puzzle dont chacune vient compléter l'autre, tout en lui conférant sa légitimité.

Daniel-Danis.gifDaniel Danis appartient à cette génération d'auteurs surgie dans les années quatre-vingt dix, qui a replacé le langage au cœur de la scène théâtrale. A mille lieux d'un total hermétisme, sans pour autant se refuser le plaisir d'un travail expérimental. Avec l'image et l'utilisation de nouveaux médias par exemple. Il est en ce sens à rapprocher, même si son écriture diffère, de son quasi compatriote Wadji Mouawad. Bien que né au Liban, ce fut du Canada où il vécut longtemps, que l'auteur d'"Incendies" inaugura sa carrière d'auteur.

Comme lui, l'œuvre de Daniel Danis connaît rapidement un succès international et jouit de distinctions nombreuses. Comme lui, ses centres d'intérêt ne se limitent pas au théâtre, même si ses expériences autres nourrissent parfois la construction de ses pièces. De la réalisation d'un livre en 3D à la création en direct avec deux comédiens d'un théâtre/film, Daniel Danis aime à relever bien de défis.

Comme Wadji, il sera nommé Chevalier des Arts et Lettres. Son écriture, fulgurante et précise, mêle sans les hiérarchiser langage quotidien et lyrisme baroque. Si certaines de ses créations sont dites "pour enfants", on aurait tort de trop se fier à une telle appellation. Comme "Le petit prince", "Gulliver" ou "Alice au pays des merveilles", elles comportent bien des niveaux de lecture. Une telle langue ne saurait supporter les "à peu près". Il faut, pour lui donner une chair théâtrale, pour faire exister les corps et les mots, une vision claire et rigoureuse. "La Scaphandrière" est née d'un coup de cœur et d'un désir.

Olivier-Letellier.jpgLorsqu'il découvre à Avignon l'univers de Daniel Danis, Olivier Letellier est immédiatement subjugué. Il rencontre l'auteur, lui confie son envie de travailler avec lui. De rencontres en échanges de mails, d'échanges d'idées en réécriture, un long travail commun se met en route, d'où naîtra ce beau et étrange bébé qu'est "La Scaphandrière". Depuis quelques années, le metteur en scène s'est, par choix, spécialisé dans le théâtre d'objets et dans les solos d'acteurs. Un parcours ponctué de remarquables réussites, à l'instar de son précédent spectacle "Oh boy !". 

Ici, Olivier Letellier troque son théâtre d'objets contre un théâtre d'images, faisant preuve à chaque scène ou presque d'une belle inventivité. Pour donner chair au monde de "La Scaphandrière", il fallait un instrumentiste hors pair. D'autant que dans la vision d'Olivier Letellier, il devait porter trois rôles sur ses épaules. Julien Frégé s'avère être l'acteur idéal. Corps, visage et voix en perpétuelle effervescence, et propices aux métamorphoses multiples, il fait exister chaque personnage avec une belle énergie. Nous fait passer du rire à l'émotion, et vice versa, sans coup férir. 

Un lac dont les eaux agissent sur le cerveau comme une drogue. Les plus pauvres n'ont d'autres ressources que d'y plonger pour y pêcher les perles rouges qu'on y trouve, et qui seront vendues fort cher. Déchirant paradoxe : leur mort s'inscrit dans le salaire qui leur permet de survivre. Une cabane au bord du lac. Le père plonge dans ses eaux ténébreuses afin de nourrir sa famille. La mère économise sur tout et veille à tenir les cordons de la bourse. La fille rêve robes et maquillages, c'est à dire au dessus de ses moyens. Le fils tente de naviguer et d'exister entre ces figures familiales omniprésentes. Il veut recommencer autre chose, autre part. Il sera le narrateur de l'histoire. 

Un lit mobile aux montants duquel est fixée une caméra, des images projetées sur un écran : il n'en faut pas davantage à scaphandriere-3.jpgOlivier Letellier pour faire naître sous nos yeux tout un monde. Julien Frégé campe chacun des personnages qu'il incarne avec une fièvre communicative. Sous l'œil de la caméra, son visage devient élastique. Ses traits totalement modifiés projetés en temps réel sculptent tour à tour ceux de la mère, du père et d'une sœur qu'il aime plus que tout. Une belle performance qui ne s'affiche jamais en tant que telle.

Scaphandriere-2.jpgLa mise en scène surprend et emporte l'adhésion jusqu'en son dernier chapitre, celui de la fameuse "Scaphandrière". On dévore les mots de Daniel Danis avec une belle gourmandise. Tout en se laissant porter par une histoire aux allures de conte pour demi-adultes. Mais qui nous parle d'addiction, de l'amour entre frères et sœur, de l'exploitation de la misère, de bien d'autres choses encore. Un superbe moment de théâtre.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Quelques dates de la tournée 2012 :
• 10/03/2012 Inzinzac Lochrist Le Trio - Théâtre du Blavet
• 16/03/2012 Conflans-Sainte-Honorine Théâtre Simone Signoret
• 23/03/2012 Saint-André-de-Cubzac Clap
• 03/04/2012 Rennes Festival Mythos

Publié dans spectacle... vivant !

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