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• Street art au féminin : un très grand cru

Publié le par brouillons-de-culture.fr

L'art de rue au féminin a connu dans la dernière décennie une croissance exponentielle. Encore très inférieures en nombre dans cette discipline, les femmes comptent déjà cependant dans leurs rangs nombre d'artistes majeures. Hasard du calendrier, deux expositions mettent en lumière deux de ces créatrices de l'ombre : Manyoly et Inti Ansa. Talent, maîtrise, originalité, fougue et jeunesse forment un cocktail détonnant dont les saveurs se déploient en un maelström éblouissant.

"De la couleur avant toutes choses" : tel semble être le credo de Manyoly, qui à moins de trente ans affiche un parcours impressionnant. À 17 ans, cette native d'Aix en Provence, dirige déjà une galerie. Elle mettra cette expérience à profit pour étudier les techniques picturales. C'est à Marseille qu'elle se familiarise avec le street art et en devient rapidement un des fers de lance. Londres, Bordeaux, Paris, Montréal. Enveloppés dans de larges bandes de couleur tels des momies dans leurs bandelettes, ses singuliers visages de femme ont fait le tour du monde. Les couleurs sont la plupart du temps vives, chaudes, dynamiques, évoquant par moments les fauves et les nabis. À noter également quelques détours assez scotchants par l'abstraction.

Inti Ansa, à peine quelques années de plus que sa consœur, s'en différencie par le style tout autant que par le parcours. Venue de l'école des Beaux Arts et accessoirement du Mexique, elle découvre tôt la possibilité de s'exprimer dans l'espace public, sans filtres et sans fards. Quelques fresques réalisés dans des pays d'Amérique Latine plus tard, elle participe à l'aventure de la Tour 13, et plus récemment à l’événement Underground Effect à la Défense. Son style évoque un classicisme haut de gamme (on songe parfois à Ingres ou Delacroix) bousculé par une vision résolument moderne de la couleur et de la perspective. L'inquiétante étrangeté n'est jamais bien loin, portée par des objets ou personnages congrus, qui viennent bouleverser la belle ordonnance d'une facture où dominent la précision et la lisibilité de l'œuvre.

N'hésitez pas à vous plonger dans le puits de ces deux regards d'où assurément la Beauté s'élèvent. Deux voyages étonnants au cœur de l'humain.

• "Intuitions", exposition de Manyoly
Galerie Deux6
66 avenue de la Bourdonnais, 75007 Paris
Jusqu'au 16 février 2019

• "Instants", exposition de Inti Ansa
Le Lavomatik
20 Bd du Général Jean Simon, 75013 Paris
Jusqu'au 2 février 2019

Pascal Perrot, texte.
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Il était une fois un grand photographe ayant sillonné plus de dix ans des pays au bord de la crise de nerfs, vivant parfois dans une misère extrême : Afrique de l'Ouest, Libéria, Nigéria, Congo. Doté d'une conscience professionnelle exigeante et, chose plus rare, d'un sens éthique au delà de tout soupçon, il ne pouvait se résoudre à présenter ses photos brut de décoffrage, redoutant que l'on n'y perçoive ce qu'il n'avait voulu y mettre : voyeurisme et misérabilisme.

• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence

C'est alors que, dans son cerveau, fulgurante l'idée surgit : inviter une quarantaine de street artistes à se servir, dans une totale liberté créative, de ses images comme support. De cette réinterprétation des clichés de Fred Atax, l'Art avec un grand A sortira grand vainqueur. De même qu'ici les talents ne s'additionnent pas mais se multiplient l'un par l'autre, les créations ne se juxtaposent pas entre elles mais semblent fusionner en une œuvre commune. À tel point qu'il se révèle parfois difficile de déterminer où s'achève la photo et où commence sa transfiguration.

• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence

Comme à son habitude, le Centre Wallonie Bruxelles a su faire preuve, pour cette exposition, qui vient de s'achever, d'une belle générosité, sachant utiliser chaque recoin de l'espace, sans jamais nuire à la lisibilité. La diversité des travaux présentés force ici l'admiration. Simples touches de couleur ajoutées ici et là, tags somptueux dont la présence suffit à modifier notre regard ou restructuration complète de l'image, allant de la colorisation baroque à l'ajout de personnages et d'objets insolites. L'ensemble atteint ainsi une sorte de réalité augmentée, ajoutant un supplément de vie et de densité à des images émotionnellement chargées. Et cette joie dans la douleur, cette truculence bariolée qui parcourt le continent africain comme un frisson sur l'échine, s'affirment avec une force accrue, comme la lecture en filigrane d'une réalité complexe.

• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence
• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence
• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence
• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence
• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence
• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence
• Strokar : quand l'art multi-médias devient une évidence

Pascal Perrot, texte.
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Le monde selon Roland Topor

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Un pays, un continent, une planète, une galaxie … Difficile de trouver le mot approprié pour décrire la polymorphie du génie de Roland Topor, présent dans tous les arts ou presque, et pour chacun d'entre eux livrant des œuvres d'une intensité et d'une originalité telles qu'on peine à en trouver l'équivalent. Vingt ans après sa brusque disparition, à l'âge de 61 ans, il était temps de rendre un hommage conséquent à cet authentique créateur d'univers.

Il est courant, dans l'hexagone, de déconsidérer les artistes multi-médias, de les traiter avec un  rien de condescendance, les envisageant davantage comme des touche-à-tout velléitaires, incapables de se fixer dans un art ou l'autre, et pour cette raison n'exprimant pas pleinement leur identité que comme des créateurs aux multiples talents. Les exemples les plus flagrants : Jean Cocteau et Boris Vian, qui, malgré les décennies, sont loin d'être reconnus à leur juste valeur.

Or, non seulement Roland Topor décourage toute manie de l'étiquetage, mais il complique encore la tâche de toute reconnaissance posthume en se situant délibérément hors des chemins balisés. Peu soucieux de devenir un artiste maudit, notre homme choisit d'emblée les domaines, peu propices à la postérité, du dessin d'humour et de presse ainsi que de l'illustration des livres de grands auteurs. Pour avoir opté pour ces voies, on minimisera longtemps l'importance d'artistes aussi différents que Gustave Doré, Honoré Daumier ou Dubout. On attend encore la célébration de Robida ou Gus Bofa.

Romancier, Topor passera par toutes les nuances de l'écriture. Il inspirera Polanski pour le film "Le locataire". Passera de l'humour absurde drôlatique à l'absurde angoissant dans "Portrait en pied de Suzanne.  Déclinera toutes les nuances de la force dans le phénoménal "Mémoires d'un vieux con". Novelliste, il déclinera toute la gamme de couleurs -du rose au noir, du non-sensique au rire en demi-teintes- en une série éblouissantes de contes drôlatiques. Cet aspect est évidemment le moins représenté à la BNF -difficile d'imager des mots-, mais il demeure très présent dans la librairie de la dite.

Homme de télé, il révolutionnera les usages de celle-ci, y introduisant un ton décalé qui n'existait pas auparavant. "Merci Bernard" et "Palace", avec la complicité de son ami Jean-Michel Ribes, puis "Téléchat" révolutionneront les mœurs de notre petit écran. Sans lui, ni "Les Nuls", ni "Les Inconnus" ni "Groland" n'auraient pu voir le jour. Des postes avec écouteurs permettent de mesurer l'impact de telles émissions.

Quand il s'attaque au grand écran, ce sera le choc du dessin animé "La planète sauvage" et le cultissime film d'animation "Marquis", dont des extraits sont projetés. Et puis, il y a le reste, tout le reste, plusieurs centaines de dessins, souvent en noir et blanc, d'une prodigieuse inventivité. Les corps se mélangent, se transforment, s'emboîtent comme des poupées russes, les objets les plus familiers sont marqués du sceau d'une "inquiétante étrangeté". Topor cependant manie le terrifiant, l'insidieux et les cohortes des prodiges de manière toujours ludique, avec un appétit de vie phénoménal, et, en fin de compte, c'est lui qui domine toute son œuvre. Qu'il soit affichiste, illustrateur ou dessinateur d'humour,  Roland Topor a toujours plié le support à son univers plutôt que l'inverse.

Ce créateur sans limites ni frontières semble avoir toujours pris cependant un malin plaisir à se faire passer pour un amuseur. L'exposition vient à point pour dissiper un malentendu tenace : Roland Topor est le versant moderne d'un Odilon Redon, d'un Félix Vallotton ou d'un Félicien Rops. Il y apporte l'ingrédient inédit d'un rire qui n'appartenait qu'à lui.

Le Monde selon Topor
Du 28 mars 2017 au 16 juillet 2017
Bibliothèque nationale de France François-Mitterrand - Paris

Pascal Perrot, texte.
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• Street Génération(s) : des couleurs plein les yeux

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Quand une expo parvient à contourner, avec beaucoup d'intelligence et une classe folle, les pièges de son intitulé, il convient de saluer l'exploit chapeau bas. C'est le cas de "Street Génération(s), quarante ans d'art urbain", à Roubaix, qui s'ouvre sur le futur sans couper ses racines. Vaste projet dont l'ampleur même en eût découragé plus d'un.

Passons sur les lacunes et oublis regrettables auxquels risquait de s'exposer une telle entreprise ; un musée plus conséquent, tant par la taille que les moyens, n'eût pas manqué d'y verser. Demeurait un risque majeur : comment témoigner, sur une période aussi large, d'un art majoritairement voué par la rue, autrement que par une collection de belles photos glacées, susceptible d'en éradiquer toute vitalité et toute rage ? Tout est question de doigté, de dosage, auxquels viennent s'ajouter quelques choix audacieux, qui font toute la différence.

• Street Génération(s) : des couleurs plein les yeux

L'histoire d'un mouvement qui allait modifier en profondeur nos codes visuels, se réapproprier tous les courants de l'art moderne pour mieux leur impulser de nouvelles directions est bien là, en filigrane. Des panneaux nous en rappellent toutes les circonvolutions. En témoignent également photos, mais également de magnifiques sérigraphies, des objets graphés, des tableaux réalisés par des pointures du street-art. Ce n'est point là pourtant que se situe l'œil du cyclone, ce vortex d'émotions visuelles qui dès l'entrée nous submerge.

• Street Génération(s) : des couleurs plein les yeux

La première idée phare qui sous-tend "Génération street art" est de donner carte blanche à des artistes actuels, toutes générations et tous pays confondus, pour s'approprier le lieu de la Condition Publique. Et là, c'est un éblouissement visuel, un généreux festin de formes et de couleurs. Tableau en relief (Jeff Aérosol), boîte à lettre ou extincteur détournés de leurs fonctions premières (C215), fresques murales et tags à même les murs. Être scotché par les fresques sur panneau de bois d'Yz, s'émerveiller des immenses visages noirs et blancs de Vhils, s'immerger dans les belles abstractions de Futura, redécouvrir le punch subversif de Bansky, les monumentales fresques d'Obey…

Les occasions de s'extasier ne manquent guère, dans une diversité de styles, de matériaux, de supports, qui font toute la richesse de cette exposition.

La seconde idée forte de "Génération Street Art", c'est d'avoir investi les espaces extérieurs. La cour, en premier lieu, principalement dédiée à la scène locale, dont vous n'oublierez pas de sitôt les majestueuses installations. Le toit, sur lequel Jeff Aérosol déploie tout son talent. La façade externe, avec le fabuleux oiseau de Ludo, qui fait polémique. Certains habitants du quartier jugent cette fresque agressive et souhaiteraient la voir retirer. Preuve s'il en est que même "avalisé" le street peut encore se révéler subversif. Les rues avoisinantes, enfin, où les artistes de l'expo ont pu donner libre cours à toute leur créativité.

Bien sûr, l'observateur tatillon relèvera quelques inévitables omissions : le peu de présence de certains pays européens, la quasi-absence du continent africain, le zapping de grands précurseurs comme Ernest Pignon Ernest ou de figures actuelles comme MIssTic ou Inti.

Mais nous savons qu'en l'occurrence toute exhaustivité s'avérait impossible. Aussi ne boudons pas notre plaisir : tel quel "Génération street Art" est une grande et belle expo, à laquelle tout homme et toute femme de goût se rendra séance tenante.

Jusqu'au 16 juin à la Condition publique
14, Place Faidherbe, Roubaix
Ouvert du mercredi au dimanche de 13h à 19h

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

• Street Génération(s) : des couleurs plein les yeux
• Street Génération(s) : des couleurs plein les yeux
• Street Génération(s) : des couleurs plein les yeux

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• Le graph dans tous ses états

Publié le par brouillons-de-culture.fr

Depuis des années, chaque déplacement, chaque voyage est l'occasion d'assouvir l'une de mes multiples passions : la chasse au graph. Je ne parle pas ici de graffiti, mais de la beauté fulgurante que peut, dans ses plus intenses manifestations, revêtir le street art.

J'ai décidé de partager, de manière parfaitement subjective, les photos de mes plus belles "apparitions" à travers le monde, en créant le blog Géo Graph, qui commence à se remplir de manière conséquente.

Je l'avoue, je suis relativement peu sensible au charme du tag, ces lettres qui posent la marque d'un crew ou d'un street artist. Il y en aura donc peu, et principalement lorsqu'ils participent pleinement de l'ambiance d'une ville.


De Boston à Ménilmontant, de Beyrouth à Montreuil, de Séville au Kremlin-Bicêtre, de Lisbonne à la Sardaigne, ce sont de véritables fresques murales qui se sont déployées sous mes yeux éblouis.

Je vous en livre aujourd'hui la quintessence sur geo graph.over-blog.com

• Le graph dans tous ses états

Pascal Perrot

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• Paul Delvaux, l'écho du rêve

Publié le par brouillons-de-culture.fr

• Paul Delvaux, l'écho du rêve

Moins célébré sous nos climats que son compatriote Magritte, Paul Delvaux n'en demeure pas moins l'un des plus grands peintres surréalistes belges. Il est, paradoxalement, fort peu exposé en France. Une raison, parmi tant d'autres, pour se précipiter au Centre Wallonie-Bruxelles (Paris), qui, jusqu'au 19 septembre, redonne à cet artiste hors-normes tout son éclat et sa stature.

• Paul Delvaux, l'écho du rêve

Paul Delvaux traça, en sept décennies, les contours d'un univers immédiatement identifiable. Peintre paradoxal, qui oppose à la violence de l'époque (la nôtre et celle qui le vit naître) le mystère et la grâce. Qui ose parfois frôler, sans jamais y sombrer, la mièvrerie pour mieux nous confronter à une déchirante douceur.

Au premier regard, Delvaux pourrait sembler désuet, mais à l'œil plus attentif, il apparaît d'une confondante modernité.

Chaque toile de Paul Delvaux semble une invitation à un voyage immobile ; elle nous susurre une histoire à l'oreille que nous sommes les seuls à pouvoir déchiffrer. Elle sera différente pour chaque scrutateur. Mais à chaque fois la clé d'une transcendante méditation.

• Paul Delvaux, l'écho du rêve

Jeunes filles ou femmes en tenue d'Eve, au beau milieu de nulle part, évoluant en somnambules au sein d'architectures fantômes. Gares désertées ou temples aux colonnes doriques, ce sont toujours lieux de solitude et d'absence, que la déambulation spectrale et énigmatique -comme en apesanteur- de ses protagonistes éminemment troublants.

• Paul Delvaux, l'écho du rêve

Nombre de tableaux de Paul Delvaux ne sont que variations autour d'un thème unique. Et pourtant chaque tableau demeure une expérience nouvelle. Un exploit que peu de peintres sont parvenus à accomplir.

À la couleur qui claque, façon nabi, le peintre privilégie souvent les couleurs douces, nuancées. Sans jamais basculer pourtant dans un excès de suavité qui en atténuerait la puissance. Emprunte d'une fausse candeur, distillant après coup un charme vénéneux, la peinture de Delvaux se joue des étiquettes.

• Paul Delvaux, l'écho du rêve

Post-impressionniste en ses balbutiements avant de s'adonner à une veine expressionniste, le peintre éprouvera un choc face aux toiles de De Chirico, qui détermineront le style de ses œuvres pendant plusieurs décennies, ou plutôt le nourriront.

À la quasi-abstraction chiriquienne, Delvaux greffe une chair fuligineuse, évanescente. Aux couleurs vives du maître espagnol, le génie belge substitue une pâleur trompeuse. Delvaux s'offrira la même liberté vis à vis du mouvement surréaliste. S'il participe à certaines de leurs manifestations, il n'en fera jamais officiellement partie.

Paul DELVAUX. Radioscopie. 13 mai 1981 - Extraits

Paul Delvaux est l'un de ces peintres dont les reproductions intriguent, et dont les œuvres en dimensions réelles subjuguent. Grandes et petites toiles, dont beaucoup méconnues, encres d'une prodigieuse acuité, l'expo du Centre Wallonie-Bruxelles (Paris) est l'introduction idéale à l'œuvre monumentale de l'artiste.

• Paul Delvaux, l'écho du rêve

Un parcours effectué dans des conditions idéales : salle climatisée, scénographie réellement éclairante et non dispensable. Oubliez les expos mammouths pour vous attarder avec délices dans cette petite galerie, à laquelle on accède en toute simplicité, sans queue préalable de trois kilomètres et où l'on peut prendre tout le temps nécessaire pour plonger intensément au cœur de chaque tableau.


Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

Publié dans plein la vue, hommages !

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• Van Gogh/Artaud : piège à touristes !

Publié le par brouillons-de-culture.fr

• Van Gogh/Artaud : piège à touristes !

Nous rendre évidentes les passerelles entre artistes de nationalités et d'époques différentes ; élargir notre compréhension d'un peintre que nous pensions connaître en l'abordant sous un angle inédit ; mettre en relief un courant artistique, une période de l'histoire de l'art et les pulsions qui l'animaient : tels devraient à mon sens être les objectifs premiers de toute exposition thématique qui se respecte.

Avec "Van Gogh/Artaud : le suicidé de la société", le musée d'Orsay n'assure pas ce minimum syndical là. S'il flatte en dépit de tout l'œil du visiteur, il n'en insulte pas moins son intelligence.

Sur le papier pourtant le projet semblait viable, voire émoustillant…

• Van Gogh/Artaud : piège à touristes !

Il convient tout d'abord d'en savoir la genèse : en 1947, le galeriste Pierre Loeb suggère à Antonin Artaud d'écrire sur le hollandais maudit. L'écrivain tourmenté, qui sort de plusieurs années en hôpital psychiatrique, n'est-il pas le mieux placé pour écrire sur la dégradation mentale de l'auteur des "Tournesols" ? Le Momo décline sans façons ce qui sent -déjà !- l'idée marketing à plein nez.

Ce qui incite l'auteur du "Théâtre et son double" à revenir sur sa décision initiale : il est outré par la parution du livre "Du démon de Van Gogh", dû à la plume d'un psychiatre, François-Joachim Beer. Une sorte de portrait clinique tendant à valider la démence du peintre. Or cette "folie", Artaud la réfute violemment. C'est en révolte contre cette œuvre qu'il écrira "Van Gogh, suicidé de la société". Pour lui, c'est l'organisme social tout entier qui par son refus, son rejet, a conduit l'homme à l'oreille coupée au suicide.

• Van Gogh/Artaud : piège à touristes !

L'œuvre de Vincent vue à travers l'œil fulgurant d'Antonin : un concept qui à priori ne devrait pas être exempt de quelque fulgurance. Mais il eut pour cela fallu quelque finesse et l'idée de génie fait flop.

La confrontation certes nécessitait des trésors de subtilité, tout faux-pas risquant d'entraîner l'expo dans la direction rejetée par Artaud. Toutefois, elle demeurait possible. Orsay y a préféré une superposition sans goût.

Le "recyclage" des toiles les plus célèbres du maître d'Arles, souvent déjà vues ailleurs, ne se justifie qu'à peine par quelques phrases issues de l'ouvrage d'Artaud, disséminées avec parcimonie, au gré d'une scénographie indigente.

• Van Gogh/Artaud : piège à touristes !
• Van Gogh/Artaud : piège à touristes !

Quant aux œuvres plastiques de l'insurgé de Rodez, elles se limitent à peine à la "portion congrue". Tout juste une dizaine s'étoilant sur un mur.

Comme s'il s'agissait d'un cousin scandaleux isolé dans un coin de la salle où se tient le festin.

Choisir une thématique à risques et refuser d'en prendre aucun : C'est le dérangeant paradoxe de cette expo sans fond ni forme.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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• L'ange du bizarre : le côté obscur de la force

Publié le par brouillons-de-culture.fr

3-sorcieres-Fussli.jpgUne expo qui nous offre bien plus qu'elle ne promet est chose suffisamment rare pour qu'on salue l'exploit accompli par le musée d'Orsay.

Une scénographie rigoureuse, une déclinaison méthodique des thématiques associées participent au plaisir voluptueux de cette plongée en apnée dans les sombres marais du romantisme noir. Bienvenue au royaume des sphynges, des sorcières, des vampires et autres créatures fantasmatiques transcendées par la magie picturale. Dans le monde des pulsions violentes et des instincts barbares enfouis qui émergent en pleine lumière.

von-stuck-ange-du-bizarre.jpgL'exposition "L'ange du bizarre - Le romantisme noir de Goya à Max Ernst", loin du fourre-tout qu'on pouvait redouter, repose sur un concept pour le moins audacieux, puisque le terme de "romantisme noir" n'était jusqu'alors appliqué qu'à des œuvres littéraires. Il naquit en 1930, sous la plume de l'historien Mario Praz qui, dans son livre "la chair, la mort et le diable", sous-titré "le romantisme noir" désigne les caractéristiques de ce courant artistique sous-jacent dont les ramifications s'étendent de Sade aux poètes symbolistes. On peut situer son émergence vers la fin du XVIIIème, époque troublée s'il en fut. La Terreur semble enterrer tous les espoirs placés dans la Révolution Française. Le "romantisme noir" exerce alors le rôle d'un puissant et libérateur exorcisme. Sous une forme symbolique, il parvient à transmettre l'indicible et explorer la face ténébreuse de l'homme. Mouvement informel dont il n'est pas interdit de chercher les racines chez des peintres aussi différents que Bosch, Bruegel ou Le Caravage. Appliquer aux arts plastiques une telle grille de lecture, était tentant mais périlleux. Or, Côme Fabre, conservateur du Musée et commissaire de l'exposition, réussit presque un sans faute.

"L'Ange du Bizarre" mêle, sur quasiment l'ensemble de son parcours, habilement le risque et l'évidence, maîtres archi-célébrés, peintres obscurs ou méconnus et artistesla-foilie-de-kate-Fussli.jpg dont nous ignorions la face sombre. Ceux qui s'imposent d'office à notre esprit dans une telle perspective et ceux dont nous ignorions non seulement les œuvres jusqu'à l'existence ; flagrantes injustices de l'histoire ou curiosités étonnantes, contre-emploi fascinants… Impossible, quand on affiche une telle thématique de ne pas croiser les chemins de Bocklin, de Félicien Rops, de Füssli ("Le cauchemar"  "la folie de Kate"ou "Les trois sorcières", bien que leurs images aient été galvaudées, n'épuisent pas leur pouvoir de fascination), les gravures de Victor Hugo (leurs petits formats eussent sans doute mérité plus d'espace afin de blake-dragon-rouge.jpgmieux les mettre en valeur) ou de l'incontournable Goya (son "Vol de sorcières" notamment, d'une prodigieuse puissance d'évocation). Impossible de passer outre le charme vénéneux des gravures de Audrey Beardsley, de mettre sous le boisseau William Blake (son terrifiant "Dragon Rouge" provoque une secousse sismique sans égal) ou les toiles somptueuses de Gustave Moreau, peintre visionnaire s'il en fut dont les œuvres irradient une étrange lumière. Les paysages tourmentés de Caspar David Friedrich. Les toiles fantasmagoriques d'Edward Munch. Celles de Franz von Stuck, plus connu des amateurs d'art que du grand public, qui se révèle souvent au même niveau qu'un Klimt. Ou le trop méconnu Odilon Redon. Tous sont venus au rendez-vous, au sabbat, à la bacchanale.

 Réunir ces incontournables (dont certains trop peu exposés), tisser entre eux un lien, démontrer leur appartenance à une même famille d'âmes, prendre de plein fouet le choc de leurs œuvres en format réel ; voilà qui eût en soi seul justifié une telle aventure. Mais sans surprise, elle ne saurait être désignée sous ce nom. Commence l'exploration des gouffres, du côté des peintres ignorés, maudits, méprisés, inconnus ou oubliés. Un territoire dans lequel les habituels repères culturels ne jouent plus. Où personne ne nous dit s'il faut ou non aimer. Où seul notre regard, qu'il fût ou non novice, juge et jauge. Dans lequel bon et mauvais goût se mélangent. L'expérience est intense. Si l'on peut sourire aujourd'hui de certaines représentations kitsch du mal, d'autres en revanche nous empoignent pour ne plus nous lâcher. Il arrive même qu'elles nous mettent mal à l'aise, tant leur image témoigne d'une présence forte.

Qui se laisse emporter par ce flux ravageur ira de surprise en surprise et d'éblouissement en éblouissement. Qu'un peintre bon chic bon genre se prenne à scruter ses enfers intimes, il est peu probable qu'il en ramène un chef d'œuvre.william-bouguereau-dante-et-virgile-dc3a9tail-700x325.png Pourtant Orsay nous prouve qu'un pareil miracle est possible. Ainsi l'académique William Bouguereau, lorsqu'il met son art de la  construction au service de la plus pure sauvagerie accouche-t-il du monstrueux "Dante et Virgile aux enfers": les deux hommes assistent impuissants, à un combat barbare et cannibale d'une brutalité saisissante. Un théâtre de la cruauté orsay-munch-vampire.jpgd'une noirceur étourdissante. Autre peintre totalement inattendu dans ce registre : Alphonse Mucha, dont ceux qui ont vécu les années 70 ou 80 connaissent par cœur les reproductions en posters (ces femmes évanescentes très Belle Epoque qui se pâment au milieu de frisures rococo). Avec "Le gouffre", ses personnages qui s'esquissent dans l'ombre respirent une angoisse insidieuse et nous invitent au grand saut dans une autre dimension. Œuvres si prégnantes qu'elles nous font regretter que ces deux artistes n'aient pas plus souvent souscrit à de telles transes abyssales.

Bocklin quant à lui se surpasse en passant du suggestif qui le caractérise au pré-expressionnisme avec son hallucinante tête Meduse-Bocklin.jpgde Méduse en relief. Les arrière-cours ne sont toutefois pas les moins impressionnantes. Les symbolistes ne sauraient être résumés au très surestimé Puvis de Chavanne. Nombre d'artistes oubliés mériteraient d'être sortis de l'ombre. Ainsi du très perturbant Jean Delville. Son "idole de la perversité" peut faire froid dans le dos. Mais ne saurait en aucun cas laisser indifférent celui qui le regarde.  De même en est-il de Gabriel Von Max dont "La femme en blanc" marque durablement la rétine. Ou de Jean Carriès, dont les sculptures gargouillesques frappent notre imagination.

Bien sûr, on note quelques "oublis". Gustave Doré, les préraphaélites (Burne-Jones et Dante Gabriel Rossetti eussent pourtant été ici comme en famille) sont aux abonnés absents, tout comme les toiles estomaquantes du peu connu Nicolaï gabriel-von-max-1900-1354744165_b.jpgKalmakofft). Si les paysages vertigineux de Friedrich relèvent du romantisme noir, pourquoi n'en irait-il pas de même des mers en furie de Turner ? Mais notre œil s'est tant rassassié de démons et de merveilles qu'on se dit que sur un tel thème, de telles lacunes sont inévitables. De même les projections d'extraits du "Nosferatu" de Murnau, de films de Bunuel ou du "Frankeinstein" de James Whale, dans des espaces qui y sont réservés, m'ont-elle semblé parfaitement dispensables. Mais après tout, pourquoi pas ?

15._delville_l_idole_de_la_perversite.jpg

Ce n'est qu'en entrant dans la partie consacrée aux héritiers que résonnent les premiers couacs. On ne les perçoit pas tout de suite, tant on est encore sous l'emprise des œuvres fortes qu'il nous fut auparavant donné à voir. Mais une certaine gêne s'installe, perceptible dans la manière d'accélérer soudain le pas. Etablir une filiation entre le romantisme noir et les surréalistes n'est pas intrinsèquement une mauvaise idée. Encore eût-il fallu mieux choisir ou les artistes ou les œuvres exposées. Si la mésestimée Toyen trouve ici toute sa place, si Bellmer et Masson livrent des diamants noirs, le lien qui unissait les œuvres se distend jusqu'à la quasi-rupture en présence des œuvres de Max Ernst, de Paul Klee, de Magritte ou de Salvador Dali. Bien sûr, le plaisir de contempler les œuvres de ces ténors de l'art moderne est toujours intact… ou du moins le serait-il si les œuvres présentées n'avaient déjà été vues dans le cadre d'autres expositions.

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Ici seul 'l'ange du bizarre" est présent. Le romantisme noir est passé à la trappe. Comme si on tremblait d'avoir trop osé, qu'il était temps de revenir à des œuvres plus fédératrices, moins dérangeantes pour nos contemporains, parce qu'elle n'empruntent que des chemins connus. Il eût pourtant été aisé de sortir des sentiers balisés, avec l'audace et l'aplomb qui avait jusqu'alors présidé au choix des œuvres. A condition de ne craindre ni l'éventuel mauvais goût, ni les oubliés de l'histoire de l'art. Valentine Hugo, Paul Delvaux, Clovis Trouille mais aussi Michel Desimon, Di Maccio, Klaus Dietrich, Nicollet, Giger, Frazetta, Léonard Fini ou plus proches de nous, Garrouste,  Denis Grrrr, Ann Van Den Linden, Philippe Pissier m'eussent semblé plus pertinents en héritiers putatifs.

Ne boudons pas pour autant notre plaisir. Avant d'accéder aux toutes dernières salles, nos pas auront longuement arpenté des enfers jalonnés de plaisirs coupables, et délectables ô combien.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

L'ange du bizarre.
Le romantisme noir de Goya à Max Ernst
Musée d'Orsay
5 mars - 23 juin 2013 


 
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• Salvador Dali, incontrôlable et incontournable

Publié le par brouillons-de-culture.fr

article_Dali.jpgQue reste-t-il de Salvador Dali, deux décennies après sa mort ? Un trésor pictural immense. Telle est la réponse imparable que nous apporte la remarquable exposition du centre Georges Pompidou. Génie de la surenchère médiatique, bateleur chamarré poussant jusqu'à l'absurdité le fameux esprit français, multipliant les petites phrases, les formules à l'emporte-pièce, les déclarations surréalisto-délirantes, Salvador Dali fut, de son vivant, tellement phagocyté par la création de son propre personnage que l'on en viendrait presque, parfois, à en oublier l'essentiel. A savoir qu'il fut sans conteste l'un des plus grands peintres de la seconde moitié du XXème siècle.

5252_dali_const.jpgUne œuvre polymorphique et abondante que ses installations gaguesques, parfois proches de la fumisterie pure et simple, ne sont fort heureusement pas parvenu à occulter. Une mise en perspective s'imposait donc, et le Centre Georges Pompidou s'en acquitte avec faste, générosité et brio. Soixante ans de création frénétique sont ici mis en lumière. Et le moins que l'on puisse dire est que cette lumière est éblouissante.

Délaisser l'ordre chronologique au profit d'une approche thématique peut sembler un choix hasardeux ; il se révèle en l'occurrence payant. On est frappés par le sentiment d'homogénéité qui se dégage de l'ensemble desdali-2.jpg 150 toiles en provenance du monde entier. Comme si Dali était entré en peinture armé de pied en cap. A tel point qu'il est difficile de parler à son propos d'œuvres de jeunesse. Les plus anciennes de ses créations exposées ici diffèrent fort peu de celles de la maturité. La sûreté du trait peut-être ? La complexité des compositions ? Ou les thèmes, parfois repris de manière quasi-obsessionnelle ? Car Dali se nourrit de tout… De ses contemporains comme des chef-d'œuvre du passé. Des grandes figures de son temps et de ses avancées scientifiques (ses travaux holographiques sont à ce titre éloquents).

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Constante mais évoluant sans cesse, la peinture du fantasque et grandiose espagnol ne cesse jamais d'intriguer, de surprendre. Il ne copie pas les grands peintres, il les invite dans son monde. Ainsi, l'angelus de Millet, accommodé de mille et une manière, se transforme en icône pop art. Mao ou Staline deviennent des éléments décoratifs. Vélasquez prend soudainement du relief. Certains tableaux de Salvador Dali contiennent à la fois Picasso, Picabia et De Chirico, en leur donnant une transcendance inédite. L'auto-affirmation de son génie ne relève guère de la méthode Coué, mais d'une lucidité quelque peu orgueilleuse. Improbable croisement entre la figuration pure, l'abstraction delaunesque et le surréalisme dont il a rapidement dépassé les frontières, Dali peint avec fougue, excès. Mais également avec une maîtrise et une cohérence rare.

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Des télés disposées dans chacune des salles de l'expo nous montrent Dali dans son infatigable logorrhée, pérorant à l'excès, naïf et calculateur, visionnaire et foutraque. Que celui qui aimait jouer les bouffons médiatiques jusqu'à quasi-saturation soit le créateur de ce style unique, dont sont issues tant de compositions saisissantes est un fait pour le moins troublant. Plus surprenant encore : son désir de gloire télévisuelle n'a jamais altéré la force de ses toiles, ni sa puissance créative. Au final : un pourcentage impressionnant de chef d'œuvres.

Que Salvador Dali use du nombre d'or, la fameuse "divine proportion" en usage chez les peintres de la Renaissance ne saurait suffire à expliquer son génie. Il serait anecdotique si d'emblée le peintre ne s'imposait par des qualités d'exception.

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Alchimiste des couleurs, ses toiles se mosaïquent d'éclats de rouge, de jaune, de bleu. Ceci explique peut-être cela : en dépit d'une omniprésence du sexe et surtout de la mort, jamais ses toiles ne sont ni impudiques ni anxiogènes.

Son sens de l'outrance, son imaginaire exubérant n'étouffent pas son rare talent de miniaturiste. Bien au contraire. Quelle que fut la taille du support, Dali se garde de négliger l'importance du moindre détail. Chaque objet identifiable est reproduit avec une exactitude confondante. Cette densité du réel dans ses œuvres donne une vérité inouïe aux fantasmagories et hallucinations qui s'y mêlent.

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Formes venues d'autres dimensions, au-delà de l'espace temps. Une spécificité que l'on retrouve dans ses multiples portraits fantasmés de Gala, dans ses multiples déclinaisons de l'Angelus de Millet ou dans ses renversantes crucifixions, qui voient le Christ léviter sur sa croix.

Alors qu'importent ses déclarations souvent contradictoires, ses positions politiques pour le moins ambiguës, et quelquefois à l'opposé de ses actes comme de ses propositions. Qui était Dali l'homme  au delà de ses masques ? Seules ses toiles peuvent peut-être nous donner quelques clés…

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Sur le plan pratique, préférez les nocturnes. Les visiteurs diurnes doivent se préparer à des heures d'attente. Extérieure puis intérieure. Et à une foule plus dense à l'intérieur qu'à l'heure de pointe. D'autant que, jusqu'à sa clôture le 25 mars, l'expo se produit non stop 24h sur 24.

Une performance que n'eût sans doute pas renié l'immense Salvador Dali !

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

 

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• Edward Hopper réinvente la réalité…

Publié le par brouillons-de-culture.fr

exposition-edward-hopper-grand-palais-L-nYKRBB.jpegS'il n'est pas évident d'entrer à l'expo du Grand Palais, il l'est encore moins d'en sortir, tant est grand le pouvoir hypnotique des toiles de Edward Hopper. Un peintre dont nous croyions tout savoir et dont il nous faut, pas à pas, réapprendre le langage. Popularisé en France par les reproductions de ses toiles en couverture de romans (notamment la collection 10/18), Hopper n'avait jusqu'alors jamais eu les honneurs d'une rétrospective sur notre territoire. Difficile dès lors de ne pas en avoir une image faussée, à laquelle cette exposition impose de sérieuses révisions.

Hopper hyperréaliste ? Sa mise en scène du réel, ses influences impressionnistes perceptibles dans nombre de tableaux rendent rapidement caduque une telle affirmation. Hopper, peintre typiquement américain ? Un tel credo vise à réduire la portée de l'univers Hopperien à celle d'un monde de cartes postales, à faire conference_at_night.jpgde l'artiste un peintre régionaliste, sorte de Canaletto made in USA. Et si elles sont depuis devenues iconiques et emblématiques (on ne compte plus les images cinématographiques inspirées par ses œuvres), parce qu'elles stimulent l'imaginaire, ses représentations de l'Amérique n'en sont pas moins fantasmées, retravaillées à travers le filtre d'un regard unique. Hopper, peintre des solitudes urbaines ? Étonnant étiquetage pour celui qui consacra un tel nombre de toiles à la vie rurale, celle des petits villages oubliés de la carte et aux petites gens, aux obscurs, aux crottés, aux sans grade.

Le mérite de l'expo du Grand Palais (une quasi-intégrale !) est de mettre en perspective les œuvres de ce petit maître et ses plus notables influences. En premier lieu, son professeur d'arts plastiques : Robert Henri. Entre académisme honteux et impressionnisme hésitant, ses tableaux ne méritent à mes yeux qu'un intérêt poli. Mais également nombre d'artistes français, au premier rang desquels Degas, Pissarro et Félix Vallotton, excusez du peu… ou encore le photographe hexagonal Eugène Atget, portraitiste des friches urbaines et des grandes edward_hopper-nighthawks-1942.jpgmaisons isolées. Puis apparaissent les premières toiles de l'ami américain, des aquarelles où se dessine déjà l'ombre d'un géant. Ses gravures, les couvertures de journaux qu'il réalisa pour vivre. Tous domaines dans lesquels il témoigne d'un talent singulier.

Je me prends à zapper, impatient et fébrile… Certes, tout ceci est bel et bon, mais je crains d'être frustré du repas en lui-même par abus d'apéritifs. Se profile la crainte d'une expo générique, du style "Hopper et son temps", où me seraient proposés en plat principal quelques maigres morceaux du peintre. Mais le Grand Palais tient ses promesses : trois grandes salles sont consacrées aux œuvres de maturité, celles où le génie de l'artiste s'exprime dans toute sa plénitude. Chaque toile est un vortex qui vous aspire à l'intérieur d'une histoire d'on le ne sait rien. A réinventer sans cesse, à chaque nouvelle vision. Et justifie pleinement l'entrée en matière de l'exposition, au point de susciter l'envie de revenir sur ses pas.

office-at-night.jpgCar ce qui rend unique la peinture de Edward Hopper, c'est d'avoir su rendre homogène une juxtaposition de styles antinomiques. Réaliste, voire académique ? Hopper tend à le faire croire en poussant à l'extrême le souci du détail. Objets sur une table méticuleusement reproduits, comme dans son "Office at night" ;  reflets sur une vitre ; précision dans la description vestimentaire de la tenue des personnages. Mais Hopper trompe son monde : dans cet apparent classicisme, il multiplie les clins d'œil à Modigliani et à Soutine, laissant dans un quasi-flou des éléments importants du décor, faisant surgir un reflet ou une ombre non-réalistes, peignant des yeux sans pupille. Ou introduisant dans une toile aux tonalités1127108_exposition-edward-hopper-ne-pas-reutiliser.jpg sombres des "taches" de couleurs vives : bleus, rouges ou jaunes éclatants, qui font d'office penser aux fauves et éloignent sa peinture d'un quelconque réalisme. Ainsi, dans "New York Office" : une jeune femme derrière un comptoir d'acajou, dont l'officine donne sur des immeubles aux murs gris. Mais c'est une blonde, qui porte une robe d'un bleu éblouissant.

edward_hopper_self_portrait_1906.jpgDeux séjours en France ont fortement marqué le peintre, et l'ont convaincu de la nécessité, sans cesse réaffirmée, de se nourrir de l'art européen. Condition sine qua non d'une évolution dynamique de l'art pictural américain. La métamorphose du jeune Hopper ne s'est pas faite en un jour. Pas davantage que l'élaboration de son art.

Il suffit de mesurer hopper.self-portrait.jpgl'écart qui sépare son autoportrait de 1905 de celui qu'il peignit dans les années 20. Au premier, imprégné d'un classicisme presque académique s'oppose le second, qui fausse délicieusement le jeu du réalisme. Un mur à la perspective impossible, un Hopper serein posant avec un chapeau et une chemise d'un bleu qu'on eût plus volontiers imaginé chez Nolde ou chez Matisse.

Entre temps, il y aura eu le magnifique "Soir bleu" en 1914, déluge de couleurs incompris en son temps (la toile fit scandale quand elle fut exposée). "Soir bleu" parvient pourtant à un vrai tour de force : marier harmonieusement impressionnisme et expressionnisme. Il fête les épousailles de Renoir ethopper6.jpg Kokoshka. Des deux côtés du personnage central, des individus qui semblent surgis d'une "Partie de campagne". A sa gauche, une femme debout. A l'extrême gauche, un homme assis. Ces deux dernières figures, en revanche, évoquent davantage les peintures d'un Otto Dix.  Au centre de la toile un clown, la cigarette aux lèvres. Un détail insuffisant à lui donner visage humain. Tout est ici, en concentré : ce mélange imparable d'inquiétude et de sérénité, cette fusion de styles à priori opposées, cet éclair de couleur vive (ciel et mer d'un bleu parfait qui dominent le fond de la toile) venant trancher sur des tonalités sombres. Hopper devra distiller par la suite avec parcimonie ses géniales trouvailles pour mieux se faire entendre.

edward_hopper.jpgHopper joue avec la réalité, bien davantage qu'il ne la "singe". Truquer la perspective demeure une constante de ses tableaux, avec une prédilection pour ceux qui sont le plus descriptivement exacts. Dans des espaces géométriquement circonscrits, où domine la ligne droite, surgit soudainement un angle ou une perspective impossible.

Dans le célèbre "People in the sun", cinq personnages sont assis sur des transats, s'exposant à un soleil qui ne nous est pas montré. Mais chacun est dans son monde intérieur.

80106898_p.jpgHopper, peintre de l'incommunicabilité, davantage que de la solitude. Quand il peint des duos ou des scènes de groupe, chaque personnage est dans sa propre bulle, dans son univers et dans ses pensées. Dans "Route à quatre voies", par exemple. Une maison, sans doute celle du propriétaire d'une station à essence, dont on aperçoit les pompes juste devant. La femme à la fenêtre du pavillon appelle son homme, ou l'accable de reproches. Celui-ci assis dehors, pense à tout autre chose : au client qui ne se manifeste pas, au temps où sa femme l'aimait, ou à quelque amour perdu. Toutes les histoires sont possibles, mais aucune n'est imposée. C'est sans doute cette ouverture qui rend si facile l'identification aux tableaux de Hopper, l'adhésion immédiate du scrutateur.

L'usage excessif et superbe des couleurs, renvoie aux fauves et aux nabis. Il tranche avec l'apparente trivialité de la scène. Le quotidien étalé dans les toiles d'Edward Hopper existe essentiellement dans les toiles d'Edward Hopper…

Alors non, Hopper ne peint pas la réalité américaine : il la réinvente sans cesse,  proposant une mythologie des humbles qui n'appartient qu'à lui.

Pascal Perrot, texte
Gracia Bejjani-Perrot, graphisme

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